Deux retraités français rencontrés à Varkala m’avaient raconté une histoire. Dieu créa la terre en sept jours. Au crépuscule du labour ce dernier versa une larme devant la beauté de sa création. Cette goutte d’eau tomba sur la Terre et créa un petit paradis : le Sri Lanka. Me voilà des étoiles plein les yeux avec une soif de curiosité pour cette île de l’océan Indien.
Agréablement surpris
Autrefois relié à l’Inde par un pont nommé Adam’s Bridge, le Sri Lanka est uniquement accessible par les airs ou via des bateaux de croisière hors de prix. C’est donc un bon vieux Airbus A321 opéré par Air India qui me transporte dans ce coin de paradis. Probablement aussi vieux que moi l’engin volant me fait faire un bond dans le passé. Moquette au sol, larges accoudoirs, prise jack pour connecter les écouteurs et de la place pour les jambes ! On fabriquait des avions confortables à l’époque ! Certes pas très économe en carburant mais qu’importe puisque l’Inde achète à bas coût le pétrole russe dont se privent les Européens. Cerise sur le gâteau, le steward me sert un repas copieux avec, pour ma plus grande joie, du pain et du beurre ! Un tel service pour un vol d’une petite heure coûtant 80€ est impensable dans nos pays où un bagage en cabine qui flirte avec les mensurations autorisées coûte aussi cher que le vol.
Pendant l’approche finale, les contours de l’île se révèlent à mes yeux. Je suis pris d’euphorie devant la beauté de cette côte d’un bleu outremer qui contraste avec le vert puissant des forêts. Le passage à la douane est le plus rapide de ma vie de voyageur. En l’espace de trente secondes mon passeport est tamponné et je pénètre sur le sol sri-lankais.
Le contraste avec l’Inde est radical. L’air est frais et ne sent pas mauvais, le trafic est fluide, le klaxon est utilisé avec parcimonie. Colombo la capitale est à l’image d’une agglomération européenne avec ses buildings et ses centres commerciaux. Les rues sont complètement propres. Seules les vitrines de petits bazars indiquent que je suis bien en Asie.
Je découvre un pays totalement différent de ce que j’en attendais. Les récentes informations sur les émeutes de la faim au Sri Lanka me laissaient penser que j’allais découvrir un pays sous le chaos. Mais c’est tout le contraire.
Je ne m’attarde pas longtemps dans la capitale et décide de prendre le train pour rejoindre Galle au sud de l’île.
Un train bien chargé !
Sur le quai bondé un homme m’explique qu’il faut monter en premier pour espérer avoir une place assise. Il me demande quelle classe j’ai choisi : la troisième bien sûr !
« Dans ce cas, cela m’étonnerait que tu aies une place assise » me répond l’homme.
Ce n’est que lorsque que je vois arriver le train déjà plein que je comprends mon erreur. La foule se précipite vers les portes des wagons visiblement trop petites pour accepter la marée humaine qui s’y déverse. Comme toute équipe de rugby solidaire, les voyageurs se poussent les uns les autres jusqu’à compacter les chairs au maximum. Imaginez le métro parisien aux heures de pointe par trente degrés Celsius sans climatisation et vous aurez une idée de la troisième classe au Sri Lanka.
L’individu n’existe plus dans ce genre de situation. Il est remplacé par une sorte de pâte vivante évoluant au gré des arrêts. Je suis compressé de tous les côtés et les corps dégoulinent de sueur. Ceux qui sont situés près des portes restées ouvertes, se cramponnent pour ne pas tomber sur la voie. J’ai du mal à respirer tellement nous sommes serrés. Les deux heures de voyage dans ces conditions sont terribles. Je regrette d’avoir voulu économiser les cinquante centimes supplémentaires pour la seconde classe. C’est comme cela que l’on apprend.
La voie de chemin de fer est construite au bord de la plage. L’eau est si proche que je pourrais presque la toucher en me penchant par la porte.
Alors que nous voyageons à vive allure un cri retentit dans le wagon. La voix de la femme est remplie de terreur. Impossible de voir quoi que ce soit. La fin du calvaire est sonnée par la gare de Galle. Ce n’est qu’en descendant du train que je comprendrais la raison de ses cris : un homme a fait un malaise. Rien d’étonnant vu les conditions du trajet.
Les plages idylliques du Sud
Je profite du bord de mer idyllique les jours suivants et visite le fort néerlandais de Galle avant de me rendre, en bus cette fois, à Welligama complètement au sud de l’île.
Le Sri Lanka est réputé pour ses activités nautiques. Cet après-midi j’ai décidé de faire du surf. La planche sous le bras je me mets à l’eau et rame jusqu’à la zone de rupture de la houle. Lorsqu’une série de vagues plus importantes arrive, je suis déjà en position pour surfer. Au pied du mur d’eau je me dis que j’ai peut-être sous-estimé la hauteur des vagues. Il faut parfois apprendre à courir avant de marcher. En tout cas j’apprends très vite à me faire rouler avant de surfer. Lorsqu’une grosse vague m’entraîne dans ses entrailles, je ne peux que patienter et prendre mon mal en patience avant de pouvoir inspirer à nouveau une délicieuse bouffée d’oxygène. Si faire un tour de machine à laver n’est pas très agréable, la suite est d’autant plus pénible. Il faut ramer à la force de ses bras pour passer derrière les vagues. En observant les autres, j’en déduis que la meilleure technique est de faire le canard et de piquer à l’intérieur de la vague. Mais à peine ai-je le temps d’ouvrir les yeux qu’un second mur d’eau s’abat sur moi. Et l’histoire se répète jusqu’à ce que la série passe. Un jour, il faudra peut-être que je prenne des cours de surf… Alors que je lutte pour rejoindre le large, je me dis que le surf est une magnifique métaphore de la vie. Peu importe le nombre de fois que vous vous faites briser, il faut remonter sur la planche, passer les autres vagues de la série et ramer centimètre après centimètre vers la paisible houle du large. À force de persévérer je parviens à surfer une vague et le plaisir intense procuré par les quelques secondes de glisse me fait oublier les litres d’eau que j’ai avalés et me donne la force de franchir à nouveau ces vagues qui déferlent. Deux heures plus tard, je suis rincé et j’aurai surfé trois vagues, je ferai mieux la prochaine fois. L’important c’est de prendre plaisir à persévérer !
Les montagnes du centre
Je remonte désormais vers le centre du pays où se trouvent les principales montagnes avec les plantations de thé. Les infrastructures, la propreté et l’anglais bien maîtrisé par la population font du Sri Lanka une destination appréciée des touristes. La côte est pleine d’exilés russes fuyant la mobilisation. Je croise aussi énormément de Français voyageant en permanence avec un guide. Une jeune française rencontrée au sommet d’une randonnée m’avouera que la présence d’un local était rassurante sur le papier compte tenu des récents événements mais que dans les faits le pays est totalement sûr (peut-être même plus que l’Hexagone…)
Les paysages et les randonnées à travers les champs de thé sont magiques. Je me promène un peu au hasard en suivant les sentiers indiqués sur mon GPS ce qui m’assure de toujours tomber sur des décors époustouflants.
Je décide de gravir Adam’s peak à vingt-deux heures pour admirer le lever de soleil au petit matin. Ce lieu hautement religieux est une sorte de Lourdes pour les bouddhistes. Je croise des milliers de pèlerins gravissant les innombrables marches qui conduisent au temple situé à 2243 mètres d’altitude. L’ascension me prend deux bonnes heures et malgré le poids de mon sac à dos, je me retrouve à attendre derrière la queue de pèlerins épuisés bloquant le sommet des escaliers.
Au sommet le temps est couvert et les rafales de vent dissipent rapidement les calories produites par l’effort physique. Les deux immenses pièces à l’abri sont déjà pleines à craquer de fidèles dormant par terre. Heureusement, je trouve une corniche abritée par un pan de toit de moins d’un mètre qui me protège de la pluie qui se met à tomber. Les quelques heures allongés à même le sol sous mon poncho seront longues et froides. Pas de douce lumière orangée qui réchauffe les corps à l’aube mais une petite éclaircie qui écarte le rideau de nuages. Dans la vie on ne gagne pas à tous les coups donc il faut se satisfaire de ce que l’on a.
Ma bêtise me pousse à retenter la troisième classe pour me rendre à Kandy. Épuisé, j’apprends à mes dépens qu’il n’est pas possible de dormir debout et je manque de m’écrouler lorsque mon esprit tombe dans les bras de Morphée. Je me contente du magnifique paysage que j’observe par la porte du train entre les têtes et les bras des autres voyageurs.
Kandy est magnifique et digne d’une ville alpine française avec son lac, son temple et l’immense bouddha qui surplombe le tout. Alors que je marche sous un arbre, je découvre à mes dépens que ce lieu est réputé pour la multitude d’oiseaux qui y ont élu domicile. Mes affaires et mon chapeau se retrouvent ornés de jolies taches blanches. Désormais je marcherai la tête en l’air !
La vie au Sri Lanka
Je suis étonné par la présence japonaise sur l’île. De nombreuses voitures sont importées du pays du soleil levant, des magasins sont spécialisés dans les produits japonais et une des plus grandes cimenteries du pays s’appelle : Nippon Ciment. Les liens entres ces deux pays ont été renforcés après la Seconde Guerre Mondiale. Le Japon ayant soutenu financièrement le Sri Lanka via d’importantes subventions.
Depuis quelques jours je fais une cure de pain. Le pain produit dans ce pays satisfait mon palais français par définition exigeant. Il est vendu dans des petits commerces ou par des vendeurs déambulant les rues avec leur Tuk-Tuk. Je les repère de loin car ils diffusent tous la Lettre à Élise de Beethoven dans des haut-parleurs pour signaler leur présence.
Le revers de la forte présence touristique est l’agressivité des conducteurs de Tuk-Tuk prêts à tout pour vous embarquer. Jamais méchants mais parfois pénibles, ils m’accostent en essayant de forcer la conversation. Ils exagèrent les distances, le prix des moyens de locomotion public et la durée des trajets pour convaincre les touristes peu méfiants. Ça fait partie du jeu et il faut dire que la situation au Sri Lanka est loin d’être idyllique. En discutant avec des locaux, j’ai pu sentir la haine que ces derniers éprouvent envers leur gouvernement. La mauvaise politique économique catalysée par la crise du Covid ont forcé le gouvernement à imprimer des roupies pour payer les fonctionnaires. Cette impression monétaire combinée à un manque de liquidités étrangères pour les importations a engendré une inflation démesurée. Un guide touristique rencontré dans un restaurant m’expliquera que le taux moyen d’emprunt est actuellement de 40% ! En dépit de ce triste sort économique je n’ai pas vraiment ressenti que la population mourrait de fin. Tout le monde travaille et augmente ses tarifs en conséquence. Seuls les épargnants n’ayant pas accès à une monnaie forte telle que le dollar se trouveront lésés par cette situation.
Le tourisme de masse
Je remonte petit à petit vers le nord jusqu’au site de Sigiriya réputé pour son rocher dominant une forêt dans un paysage sans relief. L’inconvénient de cette crise inflationniste combinée à la forte présence touristique, c’est le prix de certains lieux plébiscités par les étrangers. Le gouvernement a jugé bon de faire payer l’entrée du rocher 25$. Autrement dit, mon budget pour cinq jours en pension complète ! Je refuse ce racket et en me promenant simplement autour du rocher je découvre un ancien site archéologique. Aucun touriste en vue, pourtant ce lieu est libre d’entrée et la vielle stupa étonnamment bien conservée. Si la campagne marketing avait été menée de façon différente tous se précipiteraient pour prendre en photo ses ruines et personne ne gravirait le rocher… Et puis paradoxalement, le meilleur endroit pour admirer cette excroissance rocheuse au milieu de la forêt, c’est depuis sa base. Les locaux à proximité sont super accueillants et j’aurai droit à une promenade gratuite sur une remorque tractée par un motoculteur. Cette combinaison est bien plus économe qu’un tracteur pour les paysans avec peu de terres. Sur le chemin de l’arrêt de bus je serais spontanément pris en stop par un autre homme sans que je n’aie eu besoin de tendre le pouce !
J’ai appris de mes erreurs et me promets de ne plus prendre le train. Le système routier est bien plus efficace et une multitude de bus sillonnent l’île. Même pas besoin de se rendre à la gare routière, il suffit de d’attendre le bon bus au bord de la route. Les destinations sont écrites en cingalais et aussi en anglais sur le devant du bus. Il est toujours possible d’avoir une place assise et si ce n’est pas le cas, il suffit de prendre le bus suivant. En plus d’être plus rapide que le train, le coût est semblable à celui d’un ticket de seconde classe. Donc si vous voulez voyager pas cher au Sri Lanka privilégiez les bus rouges (publics), le trajet coûte environ 5 roupies au kilomètre (1,25€/100km). La conduite des chauffeurs est un peu agressive mais les routes sont en bon état.
La chaleur du Nord
Dans le bus qui mène à Tricombalee sur la côte Est, le petit garçon assis à côté de moi m’explique qu’il y a des éléphants sauvages dans cette région. Cinq minutes plus tard il me tapote l’épaule, un troupeau d’éléphants marche au bord de la route. Je suis le seul émerveillé tout le monde trouve cela normal !
Depuis que j’ai dépassé Sigyria, le nord du pays est beaucoup plus authentique. Le relief est d’une planéité parfaite et les images qui défilent depuis la fenêtre me font penser à la savane. Dans les zones plus humides, de petites moissonneuses sur chenilles récoltent le riz. Les paysans l’étalent ensuite sur une voie de la route car la chaleur de l’asphalte fait sécher rapidement les grains. C’est la responsabilité des conducteurs de s’écarter sur l’autre voie et d’éviter ces hommes qui balaient leur récolte avant de la charger dans des sacs.
Le nord du pays est aussi marqué par une présence militaire accrue. De nombreux checks-points se dressent au milieu des routes. Triste héritage de longues années de guerre civile, j’observe depuis le bus un panneau « Danger mines » alors que nous traversons un endroit reculé. La nature possède la majeure partie du territoire et les quelques villages sont minuscules et très simples.
Je poursuis ma boucle jusqu’à la ville de Jaffna complètement au nord du pays. Pour la première fois je retrouve des airs d’Inde avec un trafic archaïque et des rues malodorantes. Les toilettes et la douche de l’hôtel situés sur le toit se déversent directement dans un canal pollué comme les latrines d’un château-fort.
Au regard amusé des habitants du petit village adjacent, je devine que les touristes se cantonnent au Sud du Sri Lanka. Par cette journée à la chaleur harassante je suis le seuil idiot à marcher au soleil. Je suis invité par un groupe de pêcheurs à faire une pause à l’ombre d’un arbre. Au moment le plus chaud de la journée les hommes se retrouvent à l’ombre pour discuter ou jouer aux cartes. Ces habitants d’origine Tamouls m’expliqueront le conflit qu’ils partagent avec l’autre ethnie majoritaire à 75% sur l’île : les Cinghalais. D’après ces hommes tous les militaires sont des Cinghalais ce qui est plus une précision psychologique qu’une réelle représentation. En tout cas, les deux fratries me traiteront avec autant de respect et gentillesse. Je mangerai plusieurs fois dans un mess militaire ouvert au public et pratiquant des prix défiant toute concurrence.
Le nord est beaucoup plus sec et aride. Le sel stérilise les terres rendant certains champs infertiles.
Sur le chemin du retour
Déjà il est temps pour moi d’entamer le chemin du retour vers Colombo. Je m’arrête à Mannar sur la côte Ouest. Cette péninsule était autrefois connectée à l’Inde via le pont aujourd’hui détruit. Outre un fort hollandais en cours de restauration la ville abrite un baobab de 800 ans ! L’arbre ressemble à un rocher avec son périmètre de 21 mètres.
Je me repose sous son ombre en me demandant combien de voyageurs se sont aussi abrités sous ce même arbre à travers les siècles. C’est incroyable de se dire que le moyen-âge qui nous paraît si loin est à la portée d’une vie de baobab !
J’achève mon périple de trois semaines dans la ville d’Anudraphura haut lieu spirituel pour les bouddhistes. De nombreuses stupas sont érigés autour de la ville. En marchant vers l’une d’entre elles je suis conduit vers la billetterie. Le vendeur me demande 25$ même pour marcher dans les rues publiques desservant le lieu. Les locaux ne payent rien. À mes questions, les hommes me répondent : « c’est un ordre du gouvernement ». J’enrage. Je fais demi-tour et me dirige vers un autre temple. Cette fois, on ne me demande rien pour entrer et je me faufile au milieu des pèlerins. Je poursuis ma marche jusqu’à Ruwanwelisaya Dagoba. Cette stupa de 103 mètres de haut pour 190 mètres de circonférence est censé contenir les reliques de Bouddha. Ayant oublié de mettre un pantalon ce matin, je suis prié de couvrir mes jambes. J’avoue être un peu perturbé par les règles différentes de toutes ces religions nécessitant tantôt de se couvrir ou de se découvrir la tête, de mettre ou non un pantalon. Alors que je cherche le kiosque pour emprunter un pagne je me retrouve par inadvertance dans les quartiers de l’éminence spirituelle du lieu. J’explique au garde que je cherche un morceau de tissu pour couvrir mes jambes. Le moine responsable du lieu surprend ma conversation et je me retrouve dans sa pièce à boire le thé. Deux hommes sont venus de loin et ont pris rendez-vous pour rencontrer Naha Terou. Je me sens un peu bête de ne pas connaître le statut de cet homme ni les codes à adopter (visiblement il ne faut pas croiser les jambes). Une fois le thé fini le chef spirituel me noue un morceau de tissu autour de la taille et m’invite pour le déjeuner. Je fais le tour de cette immense coupole blanche avant d’avoir droit à un véritable festin. Le garde me demande de patienter la fin du discours avant de rentrer dans la pièce où de nombreux moines sont assis. Je mangerai après eux (peut-être étais-je en retard) de délicieux mets cuisinés par des fidèles venus en ce lieu pour fêter une occasion spéciale !
Une courte nuit passée à l’aéroport et un vol retour de qualité équivalente à l’aller me ramène en Inde.
Toujours un plaisir de lire tes aventures. Tu nous fais voyager. Merci. M Christine
Salut Timothee,
C’est toujours aussi plaisant de te lire.
Bonne suite de route !
Jean-Luc et Dany
coucou timothée. on admire ton courage et ta façon de nous le raconter et j avoue que quelque fois on tremble pour toi. mais tu t en sort toujours avec bonne humeur..
bon courage pour la suite de ton voyage.
domy et Ghislaine