Un Noël Orthodoxe

J’ai décidé que je passerai Noël en Bulgarie. J’aurais pu continuer tout droit et accéder directement à la Turquie depuis la Grèce mais comme le pays est musulman, Noël n’est pas fêté. Et puis j’ai bien envie de voir à quoi ressemble la Bulgarie et tester ma résistance au froid !

À la frontière entre la Grèce et la Bulgarie, le douanier Grec semble surpris par ma présence. 

« Tu voyages en vélo depuis la France ? Tu dois être riche ! » me dit l’homme.

Je rigole en lui montrant mon vélo : « Pas du tout, regardes mon vélo, il est tout pourri ! »

C’est fou le nombre de personnes qui se cachent derrière le manque d’argent pour expliquer pourquoi ils ne réalisent pas leurs rêves !


Rester en vie

En Grèce, alors que je faisais une pause repas près d’une église, j’ai discuté avec un homme. Ce dernier connaît bien la Bulgarie puisqu’il a un business à Sofia. Il m’avait prévenu de la dangerosité des routes. C’est pourquoi, je n’ai pas choisi le chemin le plus court pour rejoindre Sofia. Je suis passé par le poste de frontière plus à l’Est de celui qui relie Sofia à Thessalonique. Mais même sur ces routes de montagne moins fréquentées la vie d’un cycliste ne tient qu’à quelques centimètres. Des voitures et des camions me frôlent. En fait c’est très simple le Bulgare ne freine jamais ! Parfois il peut faire un petit effort pour s’écarter mais le reste du temps il trace tout droit. Ce qui me rend fou c’est lorsque la route est toute droite, qu’il n’y a personne en face et que les automobiles qui me doublent ne s’écartent pas d’un millimètre. 

Par un quelconque miracle, je parviens proche de Bansko en seul morceau. Je plante la tente dans un champ et jette un coup d’oeil à l’altitude sur mon téléphone : 920 m. La nuit risque d’être froide. Au petit matin, je dois gratter la toile de ma tente pour enlever le givre. L’eau contenue dans ma gourde à gelée. Plus tard, j’apprendrais que cette nuit, le mercure a flirté avec les -10°C.

Bansko au pied du massif du Pirin

Je continue à progresser vers le nord pour rejoindre Sofia. Dans les descentes ombragées je me méfie du gel. Glisser ici me serait fatal. Si j’ai changé mes patins de frein après environ 4 000 km, un autre danger me menace lorsque je dévale les pentes. Je l’ai expérimenté la première fois en Grèce. Alors que je filais à plus de 50 km/h, une légère bosse avait fait bouger mes sacoches. Ces dernières n’étant pas faite pour mon porte-bagages avant, elles ne sont maintenues que par le haut. Ainsi, elles peuvent pivoter librement puisque le bas n’est pas solidaire au vélo. Une fois le choc passé, les sacoches sont entrées en oscillation et la direction est devenue hasardeuse. Je ne pouvais pas freiner car le transfert de poids vers l’avant ne faisait qu’empirer la situation. J’ai dû me résoudre à ralentir ma bicyclette tout en priant de ne pas tomber. Cette expérience m’a terrifié et depuis je redouble de prudence. 

La route se faufile dans une vallée et malgré toute la prudence dont je fais part, il faut avoir une sorte de foi pour faire du vélo parmi ces conducteurs redoutables. 


Dernière descente ?

J’ai réservé deux nuits dans une auberge pour fêter Noël. Je profite de la dernière montée du voyage car après Sofia, le relief est plat jusqu’à Istanbul. Qui dit dernière montée, dit aussi dernière descente que je savoure jusqu’à ce qu’une voiture n’interrompe mon plaisir. Devant moi, la conductrice fait des signes de la main par la fenêtre. Je ne suis pas certain que ces derniers me soient destinés mais je m’arrête au cas où. Avi parle le français puisqu’elle travaille pour une entreprise de l’hexagone. 

« Est-ce que tu as un endroit où passer Noël ? » me demande-t-elle.

« Oui, j’ai réservé deux nuits dans une auberge de jeunesse ! »

Elle fait la grimace avant de reprendre :  « Si tu veux, tu peux venir chez nous. Il y aura ma famille mais ce n’est pas un problème. Par conte, j’habite juste en haut du col, que tu viens de descendre »

J’hésite avant de lui répondre. J’avoue que renchainer avec du dénivelé ne me motive pas trop. D’autant que je venais tout juste d’achever la dernière montée du voyage.

« Ok, je vais appeler l’auberge pour annuler ma réservation » lui dis-je.

Et me voilà en train de gravir les six kilomètres que j’avais descendus en quelques minutes il y a peu.

Avi vit avec son mari dans un joli chalet en bois à une trentaine de kilomètre de Sofia. Elle est la globe trotteuse de la famille puisqu’elle a traversé les États-Unis en vélo. 


Une veillée de Noël inattendue

Je passe la veillée de Noël avec Avi, son marri, sa belle-soeur, ses parents et son frère. En Bulgarie, la tradition veut que l’on mange un repas végétarien puisque les orthodoxes pratiquent le carême de la Nativité qui consiste à s’abstenir de viande pendant quarante jours avant Noël. La table est dont ornée de salades de légumes, de riz enveloppé dans des feuilles de choux-fleurs (sarmi), de poivrons, de flageolets et autres mets délicieux. Il y a aussi ce pain brioché dans lequel on place des voeux pour l’année suivante. J’ai la lourde responsabilité d’en écrire certains. Une pièce est aussi insérée dans la pâte de ce pain fait maison. Celui qui tombe dessus est censé apporter de l’argent à la famille pendant l’année qui suit. La coutume veut aussi que ce soit le plus âgé qui distribue les morceaux de pain. C’est donc le père d’Avi qui partage le Koledna pitka. Chacun des convives tombe sur des voeux qui lui correspondent parfaitement. Je commence à être habitué par ce « hasard » déconcertant.

Les miens sont : « Tu vas parcourir le monde avec quelqu’un d’autre » et « Tu vas avoir une promotion ». Le futur nous donnera la précision de la fortune bulgare !

« To the pretty and smart Viktor » (j’étais obligé de faire cette dédicace pour ne pas avoir à vendre un rein !)

En tout cas la soirée de Noël est accentuées par les histoires farfelues et les blagues de Viktor le frère d’Avi. De ces histoires qui font rire toute la table, j’apprends que pour s’en sortir en Bulgarie il est bon de « connaître quelqu’un ».

« Alors Timothée, laisse-moi t’introduire à un concept nouveau : l’avion. Tu sais cet objet métallique volant qui te permet d’aller beaucoup plus vite qu’à vélo ! » reprend Viktor après que j’ai raconté mon périple.

Pendant la veillée, des jeunes des villages alentour font du porte-à-porte pour chanter des chansons traditionnelles en échange d’un petit billet. 

Nous finissons la soirée en buvant du rakija fait maison.

Le lendemain, nous dégustons ce délicieux pot-au-feu composé de plusieurs viandes, de saucisses et de légumes qui ont mijoté pendant des heures.


La légende de Sofia

Viktor se propose de m’héberger à Sofia. Ce que j’accepte avec plaisir. Je pars un peu avant lui pour rejoindre la capitale à vélo. Nous visitons cette jolie capitale qui tire son nom de la basilique Sainte-Sophie.

D’après la légende, cette même basilique tire son nom de la fille de l’empereur Justinien. Durant l’Empire byzantin la fille de Justinien était malade et aucun médecin ne parvenait à la soigner. Un vieil homme suggéra à l’empereur de changer de lieu de vie et de s’installer ailleurs. L’empereur trouva alors un village dans les montagnes avec des sources d’eau chaude et un ciel bleu. Il s’y installa et au bout d’un moment, Sofia se sentit mieux, un sourire apparut sur son visage et les chansons qu’elle chantait résonnaient dans la vallée. En signe de gratitude, Justinien fit construire une église à cet endroit précis et lui donna le nom de sa fille.

Aujourd’hui encore des sources d’eau chaudes potables remontent en plein centre-ville de Sofia.


Les routes bulgares

Je laisse la belle Sofia dans l’horizon de mon rétroviseur. Beaucoup de routes en Bulgarie ont été financées par l’union Européenne. Mais cette partie-là, n’a visiblement pas été touchée par les subventions puisque de véritables crevasses ralentissent la progression. Viktor m’avait répondu par une blague lorsque je l’avais interrogé sur toutes ces subventions fièrement matérialisées par des panneaux le long de la chaussée. 

C’est le Premier ministre de la Bulgarie, de la Grèce et de Roumanie qui se rencontrent. Le Grec montre avec fierté son immense demeure. 

« Mais comment as-tu pu construire une telle bâtisse avec ton modeste salaire de ministre » demande le Roumain. 
« Voyez-vous l’autoroute à six voies en bas de chez moi ? »
« Non, réponds le Bulgare je n’en vois que cinq !»
« C’est parce que les subventions de la sixième sont allées à la construction de la maison ! »

Les trois hommes se rencontrent ensuite dans le château du Premier ministre Roumain encore plus grand que la demeure du Grec.

« Mais comment as-tu fait pour avoir un tel palace ? » demande le Grec.
« Tu vois l’autoroute à six voies en contrebas ? » 
« Non, je n’en vois que quatre» reprend le Grec.
« C’est parce que les deux autres ont servi à construire le château ! »

Enfin les trois diplomates se retrouvent en Bulgarie dans le palace royal du Premier ministre. Les deux hommes sont sous le choc. Jamais de leur vivant ils n’avaient vu un palais si grand et si luxueux. 

Mais comment as-tu fait pour construire un tel édifice ? » demande le roumain un poil jaloux.
« C’est facile, tu vois l’autoroute à six voies en face ? »
« Non, je ne vois aucune route. »
« C’est parce que tout l’argent des subventions est parti à la construction du palais ! »

Si la blague m’avait fait rire sur le moment, je ne rigole pas du tout après avoir brutalement roulé dans un trou lors d’un instant d’inattention. Ma roue se met à faire du bruit. Je relâche un peu le câble du frein avant et ce dernier disparaît. Mais quelques kilomètres plus loin, j’entends de nouveau quelque chose frotter contre la roue à l’avant. Je prends le temps de m’arrêter pour découvrir que le flanc de la jante s’est ouvert et frotte contre le patin de frein. Je démonte l’un des deux patins avant et fabrique un petit système avec de la ficelle pour que l’autre puisse freiner la roue. Pour être honnête, cela ne fonctionne pas vraiment et 98% de ma capacité de freinage repose désormais sur le simple frein arrière. Je maudis les trous, serre les fesses et prie pour que ma roue tienne les quatre cents derniers kilomètres. 

Je traverse plusieurs villages de Gitans typiques de la Bulgarie. Les habitants se déplacent toujours en carriole ce qui donne vie à des panneaux originaux au bord des routes.

Un panneau typique de la Bulgarie !

La route est désormais en meilleur état et fille droit vers la Turquie. Au fur et à mesure des kilomètres ma jante s’ouvre comme on épluche une vulgaire banane. L’excroissance sur le flanc doit maintenant faire un centimètre mais qu’importe puisque la frontière turque est toute proche.

Le seul moyen d’y accéder semble être via l’autoroute. Je demande à deux policiers stationnés sur le bas côté le chemin vers la frontière. Ils me confirment que je dois emprunter la voie rapide. Je termine donc mon périple Bulgare sur l’autoroute et après avoir patienté 1h30 à la frontière, la mosquée de Kapikule m’ouvre les portes de l’Empire turc.

2 réponses sur “Un Noël Orthodoxe”

  1. Merci de ce Témoignage tu es un être exceptionnel…. tu me fais du bien!
    Je pense à Toi et je prie pour Toi…. Reste prudent.

    Bises de Philippe

  2. Bravo ! quand je vois la photo du vélo brinquebalant et ses sacoches je me demande quand est-ce qu’il va « flancher » ?
    C’est quand même un sacré périple avec un sacré Timothée !
    Tu nous étonnes à chaque étape !
    Continue mais pas trop à fond chez les Turcs…..

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